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CONTES DE TANGER

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Nous pénétrons, dès les premières pages, dans ce monde de la vieille ville avec ses marchés, ses cafés et ses commerces. Le moindre recoin de chaque rue ou venelle, chaque trajet sinueux sont rendus avec une minutieuse délicatesse, depuis la promenade de Felipe et Paco, l’itinéraire
de Monsieur Louis dans le souk d’Afuera et le marché couvert, le Zoco Chico, d’où démarre la ruelle des Betuneros, jusqu’au Fondouk de la rue Estatuto ou la petite muraille du Boulevard… Si bien que chaque nouvelle est un tableau où l’on parle des vents, de la lumière de la mer, des odeurs du poisson fraîchement pêché, des cafés et des Bakales, des vêtements comme le sarouel ou des arômes de cuisine, et de cette grande fresque surgit Tanger.

Sonia García-Soubriet

 

 

avant-propos : José Manuel Goñi Pérez

préface : Sonia García-Soubriet

 

Juan Vega Montoya

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Né à Utrera (Séville) en 1932, Juan Vega est arrivé à Tanger à l'âge de quatre ans. Il a suivi ses études primaires à l'école de l'Alliance Israélite et obtenu le Diplôme d'Études Commerciales au Lycée Regnault. Sa vie professionnelle s'est déroulée à Tanger, Casablanca, Tétouan (Maroc) et Pau dans les Pyrénées Atlantiques. Son retrait de la vie active lui a permis de satisfaire son goût pour l'écriture. Son récit court « Comme un coup de vent » a remporté le premier prix du concours littéraire Un chemin, une histoire organisé par l'hebdomadaire Le Point. Il a écrit en 2000 son premier roman en espagnol El último verano en Tánger. Son deuxième roman, Il était une fois Tanger, en français, a vu le jour deux ans plus tard.

 

Jean-Pierre Loubat

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Jean-Pierre Loubat, photographe né en 1944, vit et travaille à Nîmes. Son travail s’arti-cule autour des questions de l’espace et du temps. La ville et l’environnement urbain figurent depuis de nombreuses années au coeur de ses problématiques. Le travail mené Sur les traces de Marcel Proust aborde la question du lieu en rapport avec le temps et l’oeuvre de l’écrivain. Il mène ensuite un travail sur le thème de l’atelier d’artiste, qui vient prolonger sa réflexion sur le rapport entre le lieu, l’oeuvre, et le créateur. Au travers de ces images, le photographe livre sa vision de l’atelier comme prolongement de l’espace mental du plasticien, laboratoire d’expérimentation, de recherches et de mise en question du travail artistique.
Depuis l’an dernier il choisit d’explorer Tanger, ville mythique qui a attiré de nombreux artistes, peintres, acteurs et écrivains, afin de saisir son génie inspirateur de tant d’oeuvres.

 

 

La tâche hebdomadaire des courses le distrayait et lui prenait toute la matinée. Pour cet homme froid et calculateur, habitué à fréquenter les gens de la pègre, ces marchandages et ce parcours entre les étalages du marché était un retour aux racines de sa Corse méditerranéenne. Le caractère des Marocains, l'ambiance et les couleurs le ramenaient à sa terre natale.

Il arrivait au marché par la grande porte des Siaguins où l'attendait Rquiq qui pensait s'établir bientôt comme cireur au Petit Socco. A l'entrée se trouvaient les boucheries et les triperies marocaines. Après un court parcours, suivaient les étalages des fruits et légumes que les commerçants exposaient en pyramides instables, colorées et odorantes. Monsieur Louis était un ancien et fidèle client de Morrongo, qui lui permettait de choisir à son aise dans la variété de marchandises offertes. Dans de rares occasions, lorsque son oeil averti jugeait qu’un fruit ou légume ne correspondait pas à la qualité de son client, le commerçant intervenait discrètement et le déconseillait.
— Non, Monsieur Louis, ces pommes ne vous méritent pas. Prenez plutôt ces poires. Regardez ! Regardez ! et attrapant son couteau, il coupait une poire en deux dont le jus abondant coulait aussitôt par terre. Goûtez ! Goûtez ! proposait-il en lui tendant une moitié du fruit pendant qu'il avalait bruyamment l'autre.
— Oui, oui, plaisantait le Corse. C'est très aimable de ta part, mais je sais que c'est pour mieux m'arnaquer.
— S'il vous plaît, se scandalisait Morrongo. Vous savez très bien que jamais je ne ferais ça à un client comme vous. Marchander les prix c'est une chose, et tromper un ami c'en est une autre.
— Je le sais bien. Ne te fâche pas. Tu sais bien que je plaisante.
— Si c'est comme ça, je la ferme, concluait le bon Morrongo.

Au bout du marché couvert, et avant de s'aventurer dans une kyrielle de petits étalages installés en plein air, se trouvait la boucherie de Lévy. Ce dernier, qui parlait en français avec Monsieur Louis, connaissait bien les goûts exigeants de son client.

— Que m'as-tu réservé de bon cette semaine, Jacques ? questionnait-il en francisant le prénom du boucher qui s'appelait Jacob.


— Aujourd'hui, j'ai le choix et la qualité, Monsieur Louis. J'ai un filet entier de boeuf charolais, tendre comme du beurre. Ou bien un rôti à griller saignant. Et si vous préférez laisser de côté la viande rouge, je vous propose un gigot d'agneau de lait qui n'a vu l'herbe que dans ses rêves.
— Bonne idée, Jacques. Maryse adore l'agneau. Accompagné d'un bon beaujolais ce sera parfait.
— Vous êtes quelqu'un qui sait vivre ! le flattait le boucher.

Après le boucher, Monsieur Louis s'en allait voir les poissonniers.
Une dizaine de mètres avant d'y arriver, le long de
deux couloirs parallèles qui menaient sous la voûte vitrée de la halle aux poissons, l'odeur d'algues, de marée et de viscères de poissons agressait le passant et l'enveloppait d'un manteau poisseux comme pour l'immobiliser et l'entraîner au fond de l'océan.


Sous la lumière blafarde de la voûte vitrée, les poissonniers pataugeaient dans l'eau, les écailles, les entrailles et les morceaux de glace. Ces éternels condamnés à un enfer humide et pestilentiel étalaient sur le comptoir les pièces nettoyées et vantaient à tue-tête leurs mérites. Ils disposaient
d'un solide comptoir en granit rose sur lequel ils exposaient leurs produits, sans oublier de les arroser souvent pour mettre en valeur leur éclat argenté. Deux comptoirs parallèles couraient de chaque côté de la vaste halle et au centre un autre, circulaire et de même largeur, retenait le reste des vendeurs.

 

 

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© Jean-Pierre Loubat

 

 

 

 

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